Rencontre avec le désert
mardi 11 et mercredi 12 décembre
Je me promène dans Ifni avec ma guitare. Un coiffeur m’interpelle, nous nous mettons à jouer dans son salon. Un client s’impatiente, finit par se faire coiffer mais l’ami connaisseur des classiques des années hippies a l’oreille attentive, et le ciseau distrait… Le petit retraité de la manche, assis sur son fauteuil, me semble un peu inquiet. J’essaye de la détendre avec quelques chansons libertaires, pas sûr que ça le mette d’avantage à l’aise mais cette petite provocation me plait bien. Je prends mon pied à jouer mes classiques : Rue de Paname, La fiancée de l’eau… Jean-Pierre revient du cyber, en route !
Nous prenons la route de Guelmin. Ses habitants disent que c’est la porte du désert. Nous peinons à sortir de la ville. Nous fuyons même avant d’être poursuivis par des vendeurs de thé et de chameaux à qui nous avions demandé des renseignements. Direction TanTan, encore faut-il trouvé la route…
Nous sortons de Guelmin. Les montagnes s’affaissent brutalement et laissent place à de grandes plaines. Les sommets qui subsistent sont comme balayés par le vent, « pelés » selon Jean-Pierre. Le vent y laisse ses traces. Il dessine contours et lits comme le ferait une eau ruisselante, ici absente. Les montagnes deviennent dunes…
Quelques arbustes tiennent encore le paysage. La terre est tellement sèche. J’ai l’impression qu’elle pourrait partir en fumer si je soufflais dessus. Ce n’est pas encore du sable, mais plus vraiment de la terre.
« Bienvenue sur la lune »
Une fois passé Tan-Tan, Nous prenons la route de Smara. Il n’y a plus de volumes à l’horizon, drôle de sensation. Le regard n’a plus d’accroche où se poser. La bétaillère fracasse l’air qui bourdonne dans nos oreilles. Le soleil tape sur les vitres puis chauffe nos peaux. Nous avalons les kilomètres. En silence, nous attendons. Tel un vaisseau qui traverserait l’espace, au cœur du néant, le bolide traverse le désert. Le paysage, la route, tout est rectiligne. Même le soleil ne semble plus bouger, les nuages sont immobilisés. Et pourtant nous avançons. Nous approchons de Smara. Avant d’y entrer nous apercevons sur les bas côtés, du sable, pour la première fois.
Depuis Ifni, il y a une rupture dans nos relations. Celles-ci sont plus fréquemment sincères, désintéressées. Elles ne sont plus pourries par le tourisme. Au cœur de pays où la misère fait rage, comment ne pas considérer un blanc capable de venir ici pour un temps souvent très court, comme un billet sur pattes ? Le tourisme, nous l’entendons souvent est brandit, comme un moteur de développement. Or à mon sens, il n’est pas une solution pour l’autonomie et la souveraineté des peuples. Au contraire, il crée encore plus de servitude à l’égard d’un élément extérieur. Certes, il génère de l’argent mais qui –si il ne tombe pas dans les mains de compagnies étrangères- ne permet pas les bases d’une construction solide et indépendante, que ce soit au niveau agraire et culturel par exemple.
Ici, lors des rencontres, les yeux brillent, attirés par ce que nous pouvons partager. Ils brûlent de curiosité pour la rencontre de l’autre et la différence de son point de vue. Ils s’impatientent pour de la sympathie.
Esmara est une ancienne aire de repos pour les nomades. Lorsqu’un homme me dit qu’elle est la capitale spirituelle du Sahara, je n’en comprends pas la raison. Maintenant, il me paraît évident que l’hospitalité du voyageur est encore présente dans la chair de ses habitants. A l’époque, le désert ne signifiait que passage, et donc accueil des passagers. Cette passion du mouvement, du voyage et le respect du voyageur semblent subsister.
Le lendemain, de Smara à Boujdour, le Sahara souffle. Il couvre la route d’un léger voile de sable et ferme l’horizon en levant un brouillard.
Les traces de l’Homme, réduites à la route et aux pilonnes électrique, sont bien maigres. La nature nous fait comprendre que selon son désir, elle pourrait reprendre ses droits.
Des villes comme Boujdour ressemblent à un regroupement nécessaire face à l’hostilité du désert. La mer, le vent, le sable et la pluie enclavent les Hommes. Si il y a un roi, c‘est bien lui, et il nous fait comprendre les frontières de son royaume.
Prochain épisode : la ville fantôme.
Aujourd'hui, nous avons passé la frontière avec une nouvelle co-équipière, Inès, qui a pris place dans la bétaillère. Après une dizaine de contrôle de passeport aux postes de police, de gendarme et aux douanes marocaines et mauritanienne, nous voilà, de "l'autre côté". Metissage complet au sein de Nouadhibou entre Maure et Sénégalais. On sent que l'Afrique noire n'est pas loin. Demain nous avons prévu une distribution de jouets musicale en matinée afin de partir pour Nouakchott dans l'après-midi.
Salam